La présente contribution fournit un aperçu succinct du cadre juridique en matière de harcèlement moral au travail et navigue, au moyen de la jurisprudence, les zones grises entre taquineries et harcèlement moral au travail.
-
Harcèlement moral au travail: définition et éléments constitutifs
Le cadre juridique du harcèlement moral au travail est défini par la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail et par le Code du bien-être au travail. La loi sur le bien-être au travail définit le harcèlement moral au travail de la manière suivante :
«Un ensemble abusif de plusieurs conduites similaires ou différentes, externes ou internes à l’entreprise ou l’institution, qui se produisent pendant un certain temps, qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur ou d’une autre personne à laquelle la présente section est d’application, lors de l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant et qui se manifestent notamment par des paroles, des intimidations, des actes, des gestes ou des écrits unilatéraux ».
Les éléments constitutifs du harcèlement moral au travail sont les suivants:
- un ensemble abusif de plusieurs conduites ;
- avec un caractère unilatéral et répétitif ;
- pendant l'exécution du travail ;
- qui a pour effet ou pour objet de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique du travailleur.
S’il n’est pas satisfait à l'une de ces quatre conditions, alors il n’est pas question de harcèlement moral au travail. Par exemple, un acte isolé ou ponctuel ne suffira pas, et la perception subjective de la victime n'est pas non plus déterminante. En effet, les comportements doivent avoir un caractère objectivement abusif, et ce, quelle que soit la perception subjective de la gravité de la souffrance subie par une personne. En outre, le harcèlement moral ne doit pas nécessairement se produire de manière intentionnelle. Des conduites non intentionnelles peuvent également constituer des comportements de harcèlement moral.
À titre d'exemple, la jurisprudence a reconnu les cas suivants comme du harcèlement moral au travail:
- L’ensemble de reproches formulés de manière inadéquate qui ne constituent pas une justification suffisante de la décision prise, tel que le blâme infligé, combiné avec l'absence de prise en considération des déclarations de la travailleuse et la répétition de cela dans un court laps de temps, est une manifestation d'hostilité, met la travailleuse sous pression et constitue donc du harcèlement moral.
- Des courriels récurrents et l'attitude dénigrante systématique dans la communication envers les collègues, dépassent l'exercice normal de l'autorité de l'employeur et constituent du harcèlement moral.
- L'existence d'une stratégie délibérée du supérieur hiérarchique pour conduire le travailleur au burn-out afin de l'isoler de tout poste au sein de l'entreprise, constitue du harcèlement moral.
- Un ensemble de moqueries fréquentes et continues et de remarques déplacées envers une personne déterminée qui ont entraîné un syndrome de dépression et d'anxiété chez la victime, constitue du harcèlement moral.
Une combinaison de deux évaluations négatives qui ne se sont pas déroulées dans le respect du règlement du travail, le refus délibéré de toute possibilité de progression professionnelle et l'écartement dans un lieu isolé sans équipement, dossiers ou téléphone, le tout réalisé dans une stratégie délibérée de pousser le travailleur à la démission, a été qualifiée de harcèlement moral.
-
Obligations de l'employeur et sanctions
En matière de harcèlement moral au travail, toute une série d'obligations légales s’imposent aux employeurs. Tout d'abord, l'employeur est tenu de procéder à une analyse générale des risques afin d'identifier les situations susceptibles d'engendrer des risques psychosociaux, y compris le harcèlement moral. Ensuite, sur la base de cette analyse des risques, chaque employeur doit prendre des mesures préventives pour éviter ou limiter les situations et les agissements susceptibles de donner lieu à du harcèlement moral au travail. Cela pourrait par exemple impliquer l'introduction d'un code de conduite en matière de harcèlement moral ou l’organisation de formations pour les travailleurs et leurs supérieurs hiérarchiques concernant le style de management ou la prévention du harcèlement moral au travail.
Outre l'analyse générale des risques, une analyse des risques peut également s'imposer dans une situation de travail spécifique, par exemple lorsqu’au sein d'un certain département, des plaintes sont déposées concernant le comportement de harcèlement d'un superviseur ou d'un chef d'équipe. En outre, un employeur peut également être tenu de prendre certaines mesures déterminées dans le cadre d'une procédure d'intervention psychosociale. Pour finir, l'employeur doit également procéder à l'évaluation annuelle obligatoire des mesures de prévention, informer les membres du CPPT, et leur donner une formation sur les procédures accessibles aux travailleurs et sur la demande d'analyse des risques d'une situation de travail spécifique.
Outre le fait que le harcèlement moral est une forme de comportement moralement répréhensible, toute personne qui commet du harcèlement moral au travail risque d’être sanctionnée par une sanction de niveau 4. Cela équivaut, après la récente modification du Code pénal social, soit à une peine d'emprisonnement de six mois à trois ans et une amende pénale de 4.800 à 56.000 euros, soit à l'une de ces peines seulement, soit à une amende administrative de 2.400 à 28.000 euros. De plus, lorsqu'un employeur ne respecte pas ses obligations en matière de bien-être concernant, par exemple, l'analyse des risques, les mesures de prévention ou la procédure d'intervention psychosociale, il risque de se voir infliger une sanction de niveau 3. Cela équivaut soit à une amende pénale de 1.600 à 16.000 euros, soit à une amende administrative de 800 à 8.000 euros. Un employeur ferait donc bien d’y réfléchir à deux fois avant de ne pas prendre les mesures préventives appropriées pour mettre fin aux dommages subis par un travailleur qui a déposé une demande d'intervention psychosociale formelle pour des faits de harcèlement.
En outre, les travailleurs peuvent également demander des dommages et intérêts pour compenser le préjudice (moral) causé par le harcèlement moral. Il s'agit en principe d'un montant forfaitaire égal à trois mois de rémunération brute ou au préjudice effectivement subi. Dans les cas où les conduites abusives sont liées à un critère protégé de discrimination, où l'auteur se trouve dans une relation d'autorité vis-à-vis de la victime ou en raison de la gravité des faits, les dommages et intérêts sont augmentés à six mois de rémunération brute.
-
Le harcèlement moral et d’autres problèmes relationnels sur la base de la jurisprudence
Le harcèlement moral peut être distingué de certains problèmes relationnels qui se produisent sur le lieu de travail. Ainsi, le harcèlement moral se différencie du (hyper)conflit. Un conflit trouve sa cause dans des tensions inhérentes à la relation de travail. La cour d'appel de Liège a souligné le fait que dans un hyperconflit, les protagonistes portent une part de responsabilité dans la survenue des événements. Ceci se distingue du harcèlement moral au travail qui concerne nécessairement des comportements objectivement abusifs et répétés qui ont un caractère unilatéral et « pervers ».
Le stress et le burn-out ne sont pas non plus assimilables au harcèlement moral. Selon le tribunal du travail de Bruxelles, cela est également vrai lorsque l'employeur crée un environnement de travail stressant par une mauvaise organisation ou une répartition inégale ou inappropriée des tâches.
De plus, avoir un certain style de management ou adopter une politique du personnel autoritaire et inadéquate n'est pas la même chose que le harcèlement moral. Ainsi, la cour du travail d'Anvers a jugé que ne pas intervenir (efficacement) dans un conflit du personnel est tout au plus une forme de mauvaise gestion, mais que cela n’est pas, en soi, une forme de harcèlement moral. La cour du travail de Bruxelles a également déclaré que la notion de harcèlement n'inclut pas les comportements qui font partie de l'exercice normal de l'autorité de l'employeur, même si le travailleur, dans sa subjectivité et sa vulnérabilité éventuelle, peut avoir beaucoup de mal à faire face à certaines situations. En ce sens, la cour du travail d'Anvers a jugé qu'une évaluation négative d'un travailleur ne constitue pas en soi une indication d’un comportement de harcèlement moral abusif.
Enfin, une communication défaillante ou difficile se différencie également du harcèlement moral. Ainsi, la cour du travail de Gand a déclaré qu'une communication ou une collaboration difficile entre un employeur et un travailleur, pour quelque raison que ce soit, ne peut être assimilée à du harcèlement moral par l'un envers l'autre. Le tribunal du travail de Bruxelles a également déclaré en ce sens que bien que le manque de communication ait dégénéré en conflit puis en procès, cela ne conduisait pas à la reconnaissance d'agissements ou de faits constituant du harcèlement moral.
-
Conclusion et recommandations
Un employeur préparé et informé en vaut deux. La prévention du harcèlement au travail n'est pas seulement bénéfique au bien-être des travailleurs ou au niveau de satisfaction au sein de l'entreprise, mais elle permet également d’éviter d’engager la responsabilité civile ou pénale de l'employeur.
Il est recommandé d'adopter, en tant qu'employeur, une stratégie claire qui se concentre sur les trois éléments suivants : la responsabilité, la participation et une approche globale. Une stratégie responsable suppose qu'un employeur respecte les obligations légales en matière de prévention et de protection au travail, et prenne des mesures concrètes dès qu'il est informé de comportements constitutifs de harcèlement moral. Une stratégie participative signifie que l'employeur doit impliquer (de manière proactive) autant d'acteurs que possible dans la politique en matière de harcèlement, tels que le CPPT, le conseil d'entreprise, la direction et les ressources humaines, le conseiller en prévention et les travailleurs eux-mêmes. Enfin, il est également important de réfléchir à une stratégie globale telle que la réalisation d'une analyse des risques où une approche multidisciplinaire est centrale. La stratégie adoptée devra, en fonction de l'entreprise, être appliquée de manière adéquate tant au niveau de l'ensemble de l'entreprise qu'au niveau de l'équipe ou à un niveau individuel.